Mes Tylenol sont expirés depuis longtemps. Est-ce que j’en prends quand même? (2024)

Disons qu’il y a en principe des chances pour que ça marche, oui, mais qu’en pratique il s’agit là d’un pari et qu’il n’est pas clair du tout que le jeu en vaut la chandelle. Voyons voir…

À partir du moment où un médicament est fabriqué, il commence à se dégrader petit à petit, pour différentes raisons. L’oxygène de l’atmosphère, par exemple, est une molécule assez réactive qui finit par «attaquer» chimiquement presque n’importe quoi, pourvu qu’on lui en donne le temps.

Et, ajoute Gaëlle Roullin, professeure à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, il y a aussi «la vapeur d’eau dans l’air qui va faire de l’hydrolyse [la séparation d’une molécule au contact de l’eau], et de la photolyse [la lumière qui brise une molécule] qui se produit également.

«Malgré toutes les précautions qu’on peut prendre, il y a toujours une certaine exposition à ces stress qui font que le principe actif [l’ingrédient du médicament qui agit sur la maladie] ou les excipients [les autres ingrédients, qui jouent des rôles variés] vont finir par se dégrader.»

90% de l’efficacité originale

Sachant cela, les autorités sanitaires demandent à l’industrie de faire des tests pour mesurer le rythme auquel celle décomposition se produit. Pour Santé Canada, il faut qu’un médicament conserve au moins 90% de son principe actif pour être considéré comme «encore bon». La date d’expiration est le moment où les données indiquent qu’il passera sous ce seuil.

Maintenant, il y a pas mal de médicaments qui ne se dégradent que très lentement, et il existe plusieurs études qui ont analysé des produits «passés date», trouvant qu’une bonne majorité d’entre eux conservent plus de 90% de leur principe actif pendant plusieurs années, voire décennies après leur date d’expiration.

Par exemple, dans une «lettre de recherche» publiée en 2012 dans le Journal of the American Medical Association – Internal Medicine, des chercheurs ont étudié 15 médicaments qui étaient échus depuis 28 à 40 ans. Résultat : 14 sur les 15 contenaient encore au moins 90 % de leur principe actif et demeuraient donc, théoriquement (je reviens tout de suite sur ce point), encore bons.

Quelques années plus tôt, une autre étude parue dans le Journal of Pharmaceutical Science avait examiné 3000 lots différents de 122 médicaments, concluant que 88 % gardaient leur efficacité un an après l’expiration, et qu’ils la conservaient en moyenne autour de cinq ans et demi.

À cause de cela, on peut trouver ici et là des appels provenant de gens très sérieux qui plaident pour que l’on allonge la période d’utilisation des médicaments, notamment à cause des coûts énormes engendrés par leur remplacement continuel.

Et il est vrai que cela peut se défendre dans certaines circonstances, comme dans des pays/régions pauvres où il n’y a pas de meilleure option ou dans des situations d’urgence — si quelqu’un fait une grosse réaction allergique, par exemple, mieux vaut un EpiPen qui a perdu de sa force que pas d’EpiPen du tout.

Dans la vie de tous les jours, cependant, cela reste un pari qu’il n’y a généralement pas de bonne raison de prendre : «Au-delà de la date de péremption, on n’a pas de données qui garantissent la sécurité et l’efficacité du médicament. (…) Dans certains cas, prendre un médicament expiré peut se faire sans mal, mais on ne le sait tout simplement pas parce qu’on n’a pas de données», rappelle Mme Roullin.

Celle-ci est également très critique des études citées plus haut, qui montrent que les médicaments gardent souvent leur puissance thérapeutique pendant très longtemps.

«Ces médicaments-là [dans l’étude] avaient encore plus de 90 % des teneurs indiquées de leur principe actif, oui, mais est-ce qu’ils ont regardé aussi les autres ingrédients ?»

— Gaëlle Roullin, professeure de pharmacologie, Université de Montréal

«Pour moi ce sont des études qui ont été mal faites parce qu’ils n’ont pas regardé tout le reste. Par exemple, est-ce qu’une gélule est devenue plus friable avec le temps et peut maintenant exposer le patient directement au produit, ce qui est dangereux dans certains cas ? Est-ce qu’une préparation liquide est devenue déphasée, avec le principe actif qui est maintenant presque absent dans le haut et tout concentré dans le fond de la bouteille ?»

Et c’est sans compter d’autres aspects qui ont leur importance en clinique, poursuit-elle, comme les conditions d’entreposage qui varient beaucoup d’un ménage à l’autre, les quantités de bactéries qui peuvent croître sur des médicaments (indépendamment de la concentration du principe actif) ou le fait que certains ingrédients peuvent devenir toxiques avec le temps — par exemple la tétracycline, un antibiotique oral, devient nocive pour le foie en se dégradant, indique le site de l’Université de l’Alberta.

En outre, avertit Mme Roullin, même si l’on ne considère que la dégradation du principe actif, les conséquences ne sont pas les mêmes pour tous les produits. Pour un comprimé de Tylenol ou d’aspirine, le fait de n’avoir plus que 80 % de sa puissance originale n’a sans doute pas grand-implication au-delà du fait qu’il soulagera un peu moins.

Mais d’autres médicaments comme les antibiotiques «sont donnés à des doses précises pour avoir une concentration X dans le sang, alors si on perd 10 ou 20 % de puissance, la concentration devient inefficace et ça peut contribuer à la résistance bactérienne».

Bref, il y a beaucoup d’incertitudes qui vient avec le fait de consommer des médicaments périmés.

Les articles cités plus haut donnent sans doute de bonnes, voire d’excellentes raisons de pousser plus loin l’étude de la dégradation des médicaments. Qui sait, peut-être qu’on trouvera le moyen de prolonger durée de vie de beaucoup de molécules, qu’on cessera d’engraisser inutilement les pharmaceutiques et qu’on sauvera du même coup des vies et de l’argent.

Ce sera tant mieux. Mais d’ici là, la règle générale reste qu’il est plus prudent de s’abstenir.

Vous vous posez des questions sur le monde qui vous entoure ? Qu’elles concernent la physique, la biologie ou toute autre discipline, notre journaliste se fera un plaisir d’y répondre. À nos yeux, il n’existe aucune «question idiote», aucune question «trop petite» pour être intéressante ! Alors écrivez-nous à : jfcliche@lesoleil.com.

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